CHAPITRE XXI
Vladet était une planète bleue striée de blanc et de vert foncé.
— Nous devrions la prendre et la garder, Whistler, dit Corran. Elle a l’air bien plus sympathique que ce fichu monde brumeux !
Whistler siffla d’un ton approbateur, puis afficha la carte tactique sur le moniteur de Corran.
Corran y jeta un coup d’œil.
— Ici Vol Trois. Pas de Mirette en vue. Stabilisateurs verrouillés en position d’attaque.
— Bien reçu, Neuf. Mettez-vous en attente.
— Compris, Contrôle.
Deux escadrons d’ailes Y des Défenseurs se dirigeaient vers la planète, avec une escorte de quatre ailes X pour chacun. Comme le Vol Trois comportait deux pilotes de moins, Corran avait été affecté à l’escadron des Protecteurs. Les escadrons des Champions, commandés par le général Salm, et des Gardiens devaient ouvrir le chemin pour les Protecteurs, afin de permettre à l’équipe moins défendue de passer sans problème.
D’après le briefing, la base de Grande Ile ne pourrait pas offrir beaucoup de résistance à deux escadrons d’ailes Y, armées de deux canons laser, de deux canons ioniques et de deux lanceurs de torpilles à protons. Chaque vaisseau portait huit torpilles : un pouvoir de feu suffisant pour transformer Grande Ile en une masse de roc fondu.
— Rogue Neuf, continuez à suivre Vol Deux, puis passez en orbite à Angels 10K.
— Compris. Appelez-nous en cas de besoin.
— Nous n’y manquerons pas. Contrôle, terminé.
Corran savait que les ordres donnés par Tycho était transmis en même temps aux Protecteurs par le contrôleur de Salm. Un double commandement était censé garantir le contrôle de l’opération, mais Corran doutait des résultats.
Quand j’étais à la CorSec, chaque fois que nous avons travaillé avec les agents des Renseignements Impériaux, les choses ont fini par foirer.
Corran mit son aile X en orbite dix kilomètres au-dessus de la surface de la planète.
— Contrôle, Vol Trois à son poste. Pouvez-vous me transmettre les données tactiques visuelles ?
— Les voilà, Neuf, annonça Rogue Leader.
L’écran montra quatre ailes Y descendant en piqué vers la face nord du volcan éteint. À un kilomètre de la cible, chaque vaisseau lança une torpille à protons puis reprit de l’altitude. Les torpilles explosèrent sur une zone déjà érodée par les pluies.
Les données visuelles se transformèrent en vecteur, des grilles vertes montrant le terrain sous le nuage de fumée qui brouillait les détecteurs visuels.
Corran la vit s’agrandir sous ses yeux. Il comprit que c’était dû à l’aile X de Wedge, qui venait de se joindre à l’assaut.
— Virage plus serré, Deuce, fit Wedge. Mynock, assurez-vous que Contrôle reçoit un scan de cette tranchée.
La fumée se dissipa, révélant à Wedge la roche volcanique friable qui se dressait à une dizaine de mètres de chaque aile de son vaisseau.
Assez large pour les bombardiers, mais avec une marge d’erreur minimale.
Il accéléra, sortant de la faille aux bords déchiquetés plus rapidement que la prudence l’aurait voulu.
Les rayons laser de quatre chasseurs Tie se croisèrent derrière lui quand il plongea dans le cratère, sous le dôme protecteur du bouclier. Le vent sifflait contre ses stabilisateurs. Il fit un tonneau et tira sur le manche à balai pour stabiliser l’aile X.
Son astromech lança un bip d’alarme.
— Je sais, j’ai deux Mirettes sur mes talons.
Dans le vide spatial, la présence des deux Tie derrière lui aurait été une menace très sérieuse à cause de leur maniabilité. Dans l’atmosphère, leur conception peu aérodynamique et la turbulence provoquée par leurs moteurs ioniques leur valait un sérieux problème de stabilité. Ils étaient tout aussi dangereux dans un combat rapproché, mais plus faciles à « décrocher ».
— Deuce, j’ai besoin d’aide.
— J’arrive.
C’est le moment de casser de la Mirette.
Wedge appuya sur le gouvernail gauche et fit virer son aile X pour l’aligner sur le Tie le plus proche. Le réticule de visée vira au vert. Wedge appuya sur la détente. Les lasers jumelés convergèrent et firent pleuvoir des débris de Tie sur le paysage de Grande Ile.
— J’en ai descendu un.
Il vit un autre chasseur Tie s’écraser contre la paroi d’un cratère.
— Vous êtes débarrassé de l’autre, Leader.
— Merci, Deuce. Trois, au rapport.
— Quatre en a eu deux. Mes senseurs ne détectent rien sur l’île.
— Rogue Leader à Contrôle, Champion peut y aller.
— Message en cours de transmission. Neuf vous envoie ses remerciements pour les données.
Wedge sourit. Il aurait aimé que Corran participe davantage à l’action, mais avec deux pilotes de moins, c’était difficile. Salm avait suggéré que Vol Trois supervise l’escadron des Protecteurs, le moins expérimenté des Défenseurs.
— Contrôle à Rogue Leader, Champion et Gardien commencent leur attaque.
— Je les vois, Contrôle.
Les ailes Y passèrent maladroitement par la faille. Leurs caractéristiques de vol en atmosphère se situaient entre celles des chasseurs Tie et celles… d’un gros rocher. Elles piquèrent pour prendre de la vitesse, puis passèrent au mitraillage au sol et au lancement des torpilles à protons.
Les vaisseaux sont lents, mais les pilotes de Salm connaissent leur boulot !
— Contrôle à Rogue Leader, nous avons un problème.
— J’écoute, Contrôle.
— Deux vaisseaux, un croiseur de classe Carrack et une frégate de classe Lancer se trouvent dans notre vecteur de sortie. L’Eridain se prépare à battre en retraite.
L’estomac de Wedge se noua.
Les frégates de classe Lancer sont rares. C’est peut-être une erreur…
— Classe Lancer confirmée ?
— Confirmée. Vos ordres ?
Les frégates de classe Lancer étaient la solution de l’Empire au problème des chasseurs. Deux cent cinquante mètres de long et vingt tourelles d’artillerie, chacune disposant d’une batterie de quad laser modèle Seinar. Sa vitesse, exceptionnelle pour un si grand vaisseau, et son armement en faisaient un rancor au milieu d’une horde de nerfs. Le croiseur de classe Carrack était mieux armé que l’Eridain, empêchant le forceur de blocus d’arrêter la frégate, qui aurait toute latitude de foncer sur les chasseurs.
Les ailes X étaient assez rapides pour échapper au Ravageur, mais pas les ailes Y. Et la puissance de feu de la frégate équivalait à celle de quatre-vingts Tie.
Wedge jeta un coup d’œil à sa jauge de carburant.
Pas assez pour une longue bataille contre la frégate et le retour à la base. La meilleure chance des ailes Y était que les ailes X attaquent le Ravageur pendant que les vaisseaux plus lents battraient en retraite.
Avant que Wedge ait pu communiquer ses ordres, la voix de Salm retentit dans l’unité de communication.
— Rogue Leader, chargez-vous des escadrons des Protecteurs et des Gardiens et faites-les sortir de là.
Les Champions protégeront vos arrières.
— Négatif, général. Champion est condamné dans ce cas. L’Escadron Rogue peut s’en sortir s’il attaque le Ravageur pendant que vous vous retirez.
— C’est un ordre, Antilles.
— L’Escadron Rogue reçoit ses ordres de l’amiral Ackbar, général.
— Rogue Leader, ici Neuf.
— Pas maintenant, Neuf.
— Commandant, je sais comment nous pouvons avoir le Ravageur Au pire, nous perdrons un vais-seau.
— Qu’est-ce qu’il raconte ?
— Du calme, général. Allez-y, Neuf.
— Les chasseurs doivent se rapprocher à deux klicks et demi pour programmer le lancement d’une torpille à protons. Une aile Y volant si près du Ravageur se ferait vaporiser. Mais une aile X peut le faire en louvoyant et envoyer les données de visée aux ailes Y. Comme le capitaine Celchu a fait à Chorax.
Les ailes Y pourront toucher une cible à quatorze klicks et demi de distance, ce qui les mettra à l’abri du Ravageur.
— Une aile X louvoyant pour s’approcher si près de la frégate ne peut pas se verrouiller sur la cible, Antilles. C’est absurde !
— L’aile X n’a pas besoin de se verrouiller sur la cible, simplement de l’approcher. Les ailes Y s’occuperont de la visée, en se servant de la balise de rappel de l’aile X. Si le Ravageur se trouve entre l’aile X et les missiles, il partira en fumée !
— Ça pourrait marcher, dit Wedge. J’y vais.
— Négatif, Antilles.
— Général…
— Rogue Leader, ici Neuf. Donnez-moi l’escadron des Protecteurs.
— En aucun cas ! cria Salm, au comble de la fureur. Arrêtez-vous immédiatement, Rogue Neuf !
— Donnez-moi l’escadron. Je jouerai au chat et à la souris avec ce Ravageur.
— C’est de la haute trahison, Neuf ! Je vous ferai fusiller !
— Si c’est l’escadron des Protecteurs qui me tire dessus, je n’y vois pas d’inconvénients ! Neuf, terminé.
— Antilles, faites quelque chose !
— Il est à la bonne altitude, général. Donnez-lui l’escadron. Puis, au cas où son attaque ne marcherait pas, préparez Champion à me suivre…
Corran ouvrit une fréquence.
— Protecteurs, voilà comment nous allons devenir des héros. Jumelez vos lance-torpilles et tirez à mon signal. C’est très important. Trop tôt, vous ne toucherez rien. Trop tard, je serai… Bref, ne lambinez pas. Dix, règle-toi sur leur vitesse et ne les laisse pas s’approcher à plus de huit klicks et demi de moi.
Ma balise sera sur la fréquence 312.43. Elle servira pour le verrouillage de cible.
— Bien compris, Neuf.
— Contrôle, ici Neuf. Préparez-vous à disperser les Protecteurs si le Ravageur attaque quand les torpilles seront en chemin.
— Je m’en occupe, Neuf. Bonne chance.
Corran effleura son médaillon.
— Merci, Contrôle. Neuf, terminé.
— À nous, Whistler. Pleine puissance aux boucliers avant. Je veux m’approcher de ce monstre en zigzaguant. Modifie les mouvements de mon manche à balai au hasard, par incréments de cinq degrés dans tous les sens, mais garde l’ennemi dans un cône de vingt degrés devant moi. Compris ?
Le droïd bipa affirmativement.
— Quand nous serons sur le Ravageur, programme un tonneau serré au-dessus de sa coque pour qu’on passe de l’autre côté. Ensuite, nous filerons selon un angle de 90 degrés vers la surface de Vladet. Si nous sommes encore entiers…
Whistler poussa un gémissement réprobateur.
— Désolé de te mêler à ça.
Corran activa la console qui permettait l’éjection du droïd. Le voyant vira au vert.
— Peut-être ton prochain pilote sera-t-il moins stupide.
Le voyant s’éteignit.
— Tu as envie de mourir ?
Whistler lâcha un bip sinistre.
— Merci de vouloir rester avec moi. Mon père est mort seul. Ça n’est pas un sort très enviable.
Le droïd glapit sur un ton plein de reproche.
— D’accord, fais ton, boulot et je m’assurerai que nous survivrons.
Corran regarda l’écran. Il était à dix-huit klicks du Ravageur.
— Whistler, vérifie mes calculs. Je peux parcourir six klicks dans le temps nécessaire aux missiles pour me rattraper. Ça signifie que les ailes Y devront tirer quand je serai à six klicks du Ravageur ; et elles à moins de quinze. Nous sommes prêts.
Un compte à rebours apparut sur l’écran.
— Neuf aux Protecteurs, quarante-quatre secondes avant le lancement.
— Whistler, vérifie le fonctionnement des tourelles d’artillerie et envoie les données à Contrôle et à Rogue Leader. Si le Ravageur a des faiblesses, je veux qu’ils soient informés.
Le compte à rebours passa à dix secondes.
— Protecteurs, à mon signal. Cinq, quatre, trois, deux, un, zéro. Lancez les torpilles !
Corran entendit des voix sur l’intercom. Il regarda le compte à rebours, qui indiquait désormais les secondes avant l’impact.
— Whistler, arrête la sirène d’alarme. Je sais que les missiles approchent.
Il lui sembla qu’une éternité s’écoulait pendant qu’il se déplaçait vers le Ravageur. Des rayons laser passèrent près de lui. Les canonniers essayaient de viser son vaisseau, mais son cap erratique rendait l’exploit difficile.
Whistler activa la programmation « louvoyante ». Le manche à balai se tortilla comme un serpent. Corran éprouva une peur irrationnelle, comme s’il avait perdu le contrôle de son vaisseau. Des vagues incessantes de rayons filaient dans sa direction, mais aucune ne parvint à l’atteindre.
Je ne suis pas mort sur Talasea. J’ai une chance ici aussi…
Le manche à balai échappa des mains de Corran et lui percuta la poitrine. Plaqué contre le siège, le Corellien regarda la coque du Ravageur passer en trombe sur son écran.
Les torpilles étaient à une demi-seconde de l’aile X quand elle se redressa et passa par-dessus le Ravageur. Les torpilles étaient capables de corriger leur course pour rattraper leur cible, mais elles avaient besoin de temps à cause de leur vélocité supérieure. À l’instant où elles initiaient leur correction de trajectoire, elles s’écrasèrent contre la coque du Ravageur et explosèrent.
La première demi-douzaine d’explosions produisit plus d’énergie que les boucliers pouvaient en absorber. Ils s’effondrèrent, laissant la place libre aux autres torpilles. Les hublots en transpacier se désintégrèrent, les plaques de titane de la coque fondirent, les ponts se brisèrent.
La boule de feu s’étendit, consumant l’atmosphère du vaisseau avec une férocité sans égale.
Toutes les torpilles, sauf deux plongèrent dans l’orage plasmatique dévorant le Ravageur. L’alimentation coupée, les moteurs s’arrêtèrent. Alors le Ravageur perdit son combat contre l’attraction de la planète et tomba.
Corran ne vit rien des dégâts infligés au vaisseau ennemi. Les yeux rivés sur son écran, il lut le rapport sur l’explosion des vingt-deux torpilles lancées à sa poursuite.
Vingt-deux ? Il y en avait vingt-quatre !
— Whistler, où sont les deux derniers missiles ?
L’écran afficha les deux torpilles. Elles s’étaient glissées sous le Ravageur et avaient acquis de nouveau leur cible – la balise de rappel de Corran !
Il faut que je vire de toute urgence !
Le manche à balai s’agitait toujours à son propre rythme. Corran sentit la peur lui glacer l’échine.
— Whistler, arrête ça !
Le manche à balai continua de se tortiller. Corran comprit que son ordre n’avait pas été assez clair. C’était une erreur de taille. Comme d’avoir laissé toute la puissance des boucliers à l’avant…
Il entreprit de résoudre ces deux problèmes. Mais l’indicateur de portée des torpilles des Protecteurs lui apprit qu’il n’en avait plus le temps.